« La Belle Liégeoise » : Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt, une figure révolutionnaire et féministe
Liège, terre de révolte et d’affranchissement, ne pouvait que rendre hommage à l’une des figures les plus audacieuses de la Révolution française. La passerelle cyclopédestre qui enjambe la Meuse, reliant le quartier des Guillemins au parc et au Musée de La Boverie, porte le nom de « La Belle Liégeoise », en mémoire d’Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt. Ce nom, attribué par la presse royaliste parisienne avec une ironie teintée de mépris, fut repris par l’Histoire, mais avec une signification bien différente : celle d’une femme engagée, passionnée et insoumise.
Un visage au Grand Curtius : l’élégance d’une révolutionnaire
C’est au musée du Grand Curtius que l’on peut contempler un buste en plâtre d’Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt, réalisé en 1792 par le sculpteur Joseph Charles Marin. Ce portrait sculpté, loin de l’image caricaturale que ses détracteurs voulaient imposer, présente une femme au port altier, aux traits d’un classicisme saisissant, encadrés par une chevelure savamment ordonnée. Rien dans cette représentation ne laisse supposer la violence des combats qu’elle mena ni l’acharnement dont elle fut victime. Pourtant, derrière cette apparente sérénité, une tension perceptible semble trahir les épreuves qu’elle a déjà traversées.
Une femme de feu et de parole
Née en 1762 à Marcourt, alors en Principauté de Liège, Anne-Josèphe Terwagne grandit dans une famille modeste. Privée d’une éducation approfondie du fait de son sexe, elle forge elle-même son savoir au fil de ses rencontres et voyages. De Liège à Londres, de Naples à Paris, elle se construit une indépendance farouche, une liberté de ton et une présence qui font d’elle une figure incontournable des débuts de la Révolution.
Lorsqu’elle arrive à Paris en 1789, elle s’immerge dans l’effervescence révolutionnaire, assistant régulièrement aux débats de l’Assemblée nationale. Fervente républicaine, elle ne se contente pas d’applaudir : elle parle, elle revendique, elle milite pour les droits des femmes. Son audace lui vaut d’être attaquée aussi bien par les royalistes que par certains révolutionnaires, inquiets de la radicalité de ses idées.
L’amazone de la liberté
Contrairement à certaines représentations stéréotypées des femmes de la Révolution, Théroigne ne se limite pas à un rôle de spectatrice exaltée. Elle veut agir, elle veut combattre. Son ambition est claire : les femmes doivent pouvoir prendre les armes, au même titre que les hommes. Son discours des Minimes, prononcé en mai 1792, est une déclaration d’indépendance féminine avant l’heure : « Brisez vos chaînes ! Armez-vous et délivrez-vous de tout ce qui vous oppresse ! » Cette prise de parole marquante fait d’elle une cible idéale pour ses opposants, qui redoutent l’impact de son message.
Un destin tragique, une mémoire réhabilitée
Victime d’une campagne de diffamation, capturée en 1791 par des émigrés royalistes qui la livrent aux Autrichiens, elle est emprisonnée à Kufstein. Relâchée après plusieurs mois, elle revient à Paris, mais la violence des luttes internes de la Révolution l’expose à de nouveaux dangers. En 1793, alors qu’elle tente d’accéder aux tribunes de la Convention, elle est publiquement humiliée et rouée de coups par des femmes jacobines hostiles à son engagement féministe.
Accusée de folie pour discréditer son action politique, elle est internée à La Salpêtrière en 1795, où elle restera enfermée jusqu’à sa mort, en 1817. Vingt-trois années de silence forcé, vingt-trois années de solitude imposée à celle qui voulait être la voix des femmes.
Mais aujourd’hui, le vent de la réhabilitation souffle sur son nom. La passerelle qui porte son surnom n’est pas qu’un hommage : c’est un symbole du courage des femmes qui osent prendre la parole, qui osent se battre pour leurs droits. C’est aussi un écho à l’esprit frondeur de Liège, cette ville qui, à travers les siècles, n’a cessé de défier l’ordre établi.
Ainsi, en traversant « La Belle Liégeoise », on ne fait pas qu’un simple trajet au-dessus de la Meuse. On marche dans les pas d’une femme qui, à sa manière, a voulu changer le monde.