« Les Forges de Vulcain » d’Émile Berchmans à La Boverie

À La Boverie, l’exposition « Ars Mecanica, la Force d’Innover » invite les visiteurs à plonger au cœur de l’audace industrielle et artistique qui a façonné Liège à la charnière des XIXᵉ et XXᵉ siècles.
Parmi les trésors rarement montrés au public, une œuvre monumentale d’Émile Berchmans capte immédiatement le regard : « Les Forges de Vulcain ».

Peinte pour l’Exposition de Bruxelles de 1910, cette fresque de deux mètres de haut sur huit mètres de long déploie une vision saisissante : au centre d’un Olympe à peine esquissé, Vulcain, dieu des forgerons, orchestre l’effervescence divine autour de ses forges.
Par un jeu d’aplats de couleurs et une mise en scène majestueuse, Berchmans érige la mythologie antique en allégorie vibrante du progrès industriel, à une époque où Liège rayonne par sa puissance mécanique et technique.

Redécouvrir « Les Forges de Vulcain » aujourd’hui, c’est aussi se replonger dans le parcours d’un artiste discret, mais essentiel, qui, entre peintures monumentales, décors prestigieux et affiches publicitaires, a su conjuguer avec élégance l’art classique et l’esprit d’innovation.

« Les Forges de Vulcain » illustrent à merveille l’univers d’Émile Berchmans, artiste liégeois au talent multiple, dont l’œuvre s’inscrit à la croisée de la grande tradition picturale et de l’élan industriel moderne.
Plongeons à présent dans le parcours de cet artiste discret, mais incontournable.

Émile Berchmans : un artiste liégeois entre tradition et modernité

Né à Liège en 1867, Émile Berchmans se forme à l’Académie des Beaux-Arts de sa ville natale, où il affirme très tôt son goût pour la rigueur classique alliée à une sensibilité moderne. Son style épuré, attentif à l’équilibre des lignes et à la clarté de la composition, lui ouvre rapidement les portes des grandes commandes publiques.

En 1903, il contribue à l’embellissement du Théâtre Royal de Liège, en réalisant des décors peints d’une grande élégance, tandis que son frère, Oscar Berchmans, sculpteur et designer, conçoit le majestueux lustre de la salle de spectacle. Ce projet familial symbolise l’importance des collaborations artistiques dans l’essor du patrimoine culturel liégeois.

Parallèlement, Émile Berchmans s’illustre dans les arts décoratifs en prêtant son pinceau aux créations de Gustave Serrurier-Bovy, figure majeure du design belge. Il peint notamment les panneaux du piano et du casier à musique, des œuvres raffinées aujourd’hui conservées au Grand Curtius, témoins d’un dialogue fécond entre arts appliqués et peinture.

Mais l’œuvre de Berchmans ne se limite pas à l’univers des arts classiques. Son mariage en 1893 avec la fille d’Henri Pieper, industriel et co-fondateur de la Fabrique Nationale d’Armes de Guerre (FN), l’inscrit dans une dynamique nouvelle où l’art s’ouvre aux besoins de la modernité industrielle.
Devenu affichiste reconnu, il met son talent au service de la FN, réalisant des affiches publicitaires élégantes et des compositions de grande qualité pour promouvoir les productions d’armes, de bicyclettes ou encore les premières automobiles, traduisant dans son style sobre et puissant l’esprit d’innovation de son époque.

Au croisement de l’imaginaire mythologique et de la célébration du progrès industriel, « Les Forges de Vulcain » incarne pleinement cette synthèse entre l’idéal artistique et l’esprit d’innovation qui anime Berchmans.
Décryptons à présent cette œuvre monumentale et sa place dans l’histoire artistique de Liège.

« Les Forges de Vulcain » : la force de l’imaginaire mythologique au service de l’industrie

Commandée pour l’Exposition de Bruxelles en 1910, « Les Forges de Vulcain » est une œuvre d’exception tant par ses dimensions – deux mètres de haut pour huit mètres de long – que par la force symbolique qu’elle déploie.

Au centre de la composition, Vulcain, dieu romain du feu et des forgerons, trône, marteau en main, au cœur d’une forge divine. Autour de lui, dieux et demi-dieux, évoqués avec une grande économie de moyens plastiques, participent à une scène vibrante d’énergie créatrice.
Berchmans privilégie des aplats de couleurs sobres et lumineux, délaissant le détail superflu pour mieux saisir l’essence des formes. Dans un style à la fois classique et stylisé, il esquisse un Olympe moderne, théâtre de l’invention et du travail.

À travers cette fresque mythologique, Berchmans célèbre la puissance créatrice de l’homme moderne, assimilée à celle des dieux anciens. Vulcain, figure traditionnelle du travail et de la métallurgie, devient l’allégorie de la force industrielle, évoquant directement l’essor économique de la région liégeoise, alors portée par les forges, les mines et l’industrie mécanique.

Ainsi, « Les Forges de Vulcain » ne se contente pas d’exalter la mythologie : elle traduit, avec élégance et vigueur, une vision optimiste du progrès humain portée par l’innovation technique.

Émile Berchmans et la Fabrique Nationale : l’art au service de l’industrie

La carrière d’Émile Berchmans est aussi indissociable de son engagement artistique au service de l’industrie moderne.
Par ses liens familiaux avec Henri Pieper (son beau-père), il entre en contact avec l’univers de la Fabrique Nationale d’Armes de Guerre (FN), une entreprise en pleine expansion à la fin du XIXᵉ siècle.

Pour la FN, Berchmans réalise de nombreuses affiches publicitaires, véritables œuvres d’art graphique. Il y conjugue la rigueur technique – indispensable pour valoriser les produits industriels – avec une esthétique raffinée qui confère aux armes, vélocipèdes et automobiles de la FN une image de fiabilité et d’élégance.
Ses compositions, marquées par une grande lisibilité, des lignes sobres et une attention portée au détail, inscrivent l’image de la FN dans une modernité conquérante, en phase avec les aspirations du monde industriel belge.

Au-delà de leur fonction commerciale, ces œuvres traduisent la capacité d’Émile Berchmans à penser l’art comme un moteur d’innovation, tout comme « Les Forges de Vulcain » cristallise la rencontre entre mythe et modernité.

Conclusion

En mettant en lumière « Les Forges de Vulcain » dans l’exposition « Ars Mecanica, la Force d’Innover » à La Boverie, Liège rend hommage à un artiste qui a su capter l’esprit de son temps avec une élégance rare.
Émile Berchmans, par son double talent de peintre et d’affichiste, a su ériger un pont entre l’héritage classique et l’essor industriel, entre l’imaginaire des dieux et la force créatrice des hommes.

L’œuvre magistrale exposée aujourd’hui rappelle que derrière les grandes révolutions techniques, il y a aussi des artistes visionnaires, capables de donner une âme à la machine et un souffle mythologique au progrès.

Emile Berchmans-Les forges de Vulcain-Huile sur toile