L’esplanade du souvenir à Cointe : des hommages venus d’ailleurs, des blessures bien locales
Sur les hauteurs de Liège, le Mémorial Interallié dresse sa silhouette monumentale au-dessus de la ville. Tour massive, église néo-byzantine, esplanade solennelle : ce haut lieu de mémoire, souvent méconnu des Liégeois eux-mêmes, témoigne de la reconnaissance internationale dont a bénéficié la Cité ardente après la Première Guerre mondiale. Car c’est bien à Liège, première grande ville à avoir opposé une résistance farouche à l’armée allemande en 1914, que les Alliés ont choisi d’ériger leur unique mémorial commun. Et sur son esplanade, chaque nation a déposé une pierre, un bronze, une plaque en mémoire. Une galerie de mémoire à ciel ouvert… parfois malmenée par le temps et les hommes.
Une mémoire internationale gravée dans la pierre
L’esplanade du Mémorial Interallié est bien plus qu’un espace de circulation. C’est un parcours symbolique, jalonné de monuments offerts par les nations alliées pour saluer l’héroïsme belge. À commencer par la France, dont l’allégorie « À la Belgique, la France reconnaissante » ouvre ce chapelet de souvenirs sculptés.
On y croise également :
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une statue de fantassin italien, silhouette rigide tournée vers l’histoire ;
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un mur britannique rendant hommage aux forces armées du Commonwealth ;
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les pierres levées de la Pologne, symboles d’endurance et de verticalité ;
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une plaque offerte par l’Espagne, pourtant neutre en 14-18, pour rappeler son aide humanitaire
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un monument tragique à la mémoire des soldats russes et soviétiques ;
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et un sarcophage roumain, austère et solennel.
Chaque œuvre, modeste ou monumentale, rappelle l’union internationale face à la barbarie, et la place particulière de Liège dans cette histoire.
Le monument grec : hommage spartiate, destin vandalisé
Parmi ces hommages, le monument grec, inauguré en 1988, attirait particulièrement l’œil. Sa forme frappante – 114 casques en bronze de style antique, empilés en pyramide – évoquait à la fois les hoplites spartiates et la résistance héroïque. Une évocation puissante du courage, offerte par la Grèce à la ville de Liège. Mais cette œuvre a connu un destin funeste.
Dès les premières années, trois casques sont dérobés. En 2020, une série de vols supplémentaires fragilise un peu plus l’installation. Et en 2021, le constat est accablant : le monument est entièrement pillé. Les 114 casques ont disparu, vraisemblablement fondus pour leur valeur marchande. Le geste symbolique d’une nation alliée s’est vu anéanti par des actes de vandalisme pur et simple.
Face à cette perte, la Ville de Liège a réagi : une nouvelle stèle en pierre a été réalisée par les tailleurs de pierre de la Ville, remplaçant l’œuvre disparue par un hommage plus sobre, mais résilient.
Quand la mémoire devient une marchandise
Ce qui est arrivé au monument grec n’est malheureusement pas un cas isolé. À l’heure où le bronze, le cuivre ou la pierre sont convoités pour leur valeur de revente, les œuvres d’art du patrimoine deviennent des cibles. Les actes de vandalisme se multiplient, non par idéologie, mais par appât du gain.
Ce fléau contemporain, celui du vandalisme mercantile, ne touche pas uniquement les monuments civils ou commémoratifs. Le patrimoine religieux, lui aussi, paie un lourd tribut : statues, croix, objets liturgiques en métal précieux ou en pierre sculptée disparaissent régulièrement des églises, souvent isolées ou mal protégées. Ce sont des fragments d’histoire, des gestes de foi ou des expressions artistiques qui sont arrachés à leur contexte pour finir dans des circuits opaques de revente.
Dans ce contexte, le monument grec du Mémorial Interallié devient un symbole parmi d’autres d’une crise silencieuse : celle de la disparition de notre mémoire collective au profit d’intérêts purement marchands. Ces œuvres, qu’elles soient profanes ou sacrées, racontent une histoire commune, un passé partagé. Lorsqu’elles disparaissent, ce sont nos repères, notre culture et notre lien avec l’Histoire qui s’effacent.
Dès lors, une question s’impose : comment protéger ces témoins silencieux qui jalonnent notre territoire ? Et surtout, comment redonner à ces lieux la visibilité, le respect et la vigilance qu’ils méritent, pour que le silence ne devienne pas l’allié de l’oubli ?




