Montefiore-Levi : le destin incroyable d’une sculpture retrouvée

Perdue, oubliée, presque engloutie par les ronces d’un dépôt municipal, la statue Montefiore-Levi a connu un destin incroyable. C’est grâce à la passion et à la curiosité de Marcel Conradt qu’elle a refait surface, retrouvant peu à peu la lumière de la cité ardente.

Quand un collectionneur de cartes postales retrouve un chef-d’œuvre d’art public

La sculpture Montefiore-Levi

En 1911, le square Notger accueillait une nouvelle œuvre d’art public : la sculpture Montefiore-Levi. Commandée par la Province de Liège, elle rendait hommage aux philanthropes Georges Montefiore-Levi et Hortense Bischoffsheim, qui avaient marqué la ville de leurs nombreuses donations – de l’Institut électrotechnique aux dispensaires anti-tuberculeux.

Réalisée par le sculpteur Oscar Berchmans, élève de Léon Mignon, l’œuvre se compose d’un groupe allégorique en bronze : une jeune femme protectrice abrite deux enfants nus et fragiles. Une scène simple, mais d’une grande force symbolique : celle de la charité.

Installée sur un socle monumental, la statue trônait face à l’étang du square Notger. Mais les grands travaux urbains des années 1970 eurent raison de ce lieu. Le monument fut démonté, entreposé dans un dépôt… et peu à peu, on en perdit la trace.

Marcel Conradt, une mémoire en alerte

C’est ici qu’entre en scène Marcel Conradt. Né en Outre-Meuse, instituteur, écrivain, passionné d’histoire locale, il a consacré sa vie à mettre en valeur le patrimoine liégeois. Son amour pour la Cité ardente se traduit dans des livres comme Petite histoire illustrée de la place Saint-Lambert (1996) ou Les quais de Meuse et de sa Dérivation (1997), mais aussi dans de nombreux autres ouvrages.

Curieux, obstiné, il a le regard de ceux qui savent lire entre les pierres de la ville. Et c’est presque par hasard qu’il allait redonner vie à la statue Montefiore-Levi.

« Tout au bout, sous les ronces » : la redécouverte

Marcel Conradt nous raconte :

« C’était en 1992 ou 1993. Je préparais une exposition de cartes postales sur la place Saint-Lambert. On m’avait encouragé à transformer cette passion en livre, et dans mes recherches, je me suis intéressé au square Notger et à la statue Montefiore. Mais impossible de savoir ce qu’elle était devenue.
Puis, un jour, quelqu’un me confie presque à voix basse : “Si vous allez du côté du dépôt de la Ville à Robermont… tout au bout, sous les arbres et les ronces… vous pourriez tomber sur quelque chose.”
Je n’ai pas hésité. Je me rends sur place. Le dépôt était vaste, envahi par la végétation. Je m’avance, je cherche… Et là, tout au bout, dans un sous-bois de ronces et d’arbustes sauvages, je l’aperçois. Elle était là.
Dans quel état ! Le bronze percé de coups, abîmé, attaqué. Une vision à la fois bouleversante et révoltante. Je me suis mis à la dégager comme je pouvais, à mains nues, juste pour pouvoir prendre quelques photos. C’était encore l’époque de l’argentique… Et puis, comme j’étais entré discrètement, j’ai quitté les lieux tout aussi discrètement. »

Mais la découverte ne pouvait rester secrète. Marcel alerte ses proches, parmi lesquels le journaliste Luc Caucheteux, qui publie les photos. L’émotion gagne les responsables politiques. Les échevins Jean-Pierre Grafé et Michel Firket, rejoints par une entreprise en charge de la restauration du pont de Fragnée, s’engagent à sauver la sculpture.

« Rapidement, elle a été restaurée. Et même exposée au Bon Marché, grâce à Monsieur Ercolini, qui avait mis une grande salle à disposition pour une reconstitution de la place Saint-Lambert. La statue accueillait les visiteurs à l’entrée… Imaginez : un monument abandonné sous les ronces qui revient sous les projecteurs, en plein cœur d’un grand magasin ! »

La suite appartient à la ville. Après un passage dans la cour de l’Hôtel Somzé en Féronstrée, la statue trouva en 2012 un nouveau socle aux « Degrés des Dentellières », entre la rue du Palais et Pierreuse, à deux pas de son emplacement d’origine.

Quand la passion change le destin d’une œuvre

Sans la curiosité d’un collectionneur et passionné d’histoire locale et son instinct d’enquêteur, la sculpture Montefiore-Levi serait peut-être encore ensevelie sous les ronces. L’histoire de Marcel Conradt rappelle que le patrimoine survit parfois grâce à un regard attentif, une passion obstinée… et un peu de hasard.

Sculpture « Montefiore-Levi » d’Oscar Berchmans à Liège