Figures de résistance — Une exposition à La Boverie pour raviver la mémoire
Musée de La Boverie, Liège – Du 23 mai au 17 août 2025
À l’occasion des commémorations du 8 mai 1945, le Musée des Beaux-Arts de Liège consacre une exposition poignante à trois personnalités liégeoises qui ont marqué l’histoire culturelle et morale de notre ville : Auguste Buisseret, Jules Bosmant et Jacques Ochs. Intitulée Figures de résistance, cette présentation au sein des collections permanentes retrace leur engagement à travers une sélection d’œuvres, de documents et de portraits, mais surtout par le récit d’un acte fondateur : la participation de Liège à la célèbre vente d’art « dégénéré » organisée en 1939 à Lucerne en Suisse.
Une exposition en hommage aux résistants de l’art
Trois figures, trois trajectoires, un même idéal. À travers des documents d’archives, des œuvres-témoins et des témoignages rares, l’exposition met en lumière le rôle décisif de ces hommes qui, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, ont su faire de la culture un rempart contre l’obscurantisme.
Jacques Ochs, caricaturiste renommé et directeur du Musée des Beaux-Arts dès 1934, fut aussi un résistant actif, arrêté et emprisonné au fort de Breendonk. Son trait acéré, qu’on découvre dans une section poignante de l’exposition, sert autant la satire que la mémoire. À ses côtés, les dessins de José Fosty, réalisés au camp de Buchenwald, viennent rappeler avec force que l’art a parfois été, pour ces hommes, l’unique langage de la survie.
Le parcours retrace également les engagements politiques et culturels d’Auguste Buisseret, échevin des Beaux-Arts en 1939, et de Jules Bosmant, critique d’art et futur directeur du musée. Ensemble, ils participèrent à une opération exceptionnelle : le sauvetage d’œuvres majeures vouées à la disparition par le régime nazi.
La vente de Lucerne : un acte de résistance en pleine tempête
Le 30 juin 1939, à la galerie Fischer de Lucerne, 125 chefs-d’œuvre d’art moderne sont mis aux enchères. Ils proviennent des musées allemands, épurés par le régime nazi au nom d’une idéologie réactionnaire et raciste qui qualifie ces créations de « dégénérées ». Parmi les artistes concernés : Chagall, Picasso, Gauguin, Kokoschka, Marc, Ensor, Pascin, Laurencin…
Dans une Europe au bord de la guerre, la vente choque, mais offre aussi une opportunité inédite. Une délégation liégeoise, composée de Buisseret, Bosmant et Ochs, mobilise en urgence des mécènes, des responsables politiques et des fonds publics pour se porter acquéreur d’une série d’œuvres emblématiques. Résultat : neuf œuvres majeures entrent dans les collections de la Ville, dont La maison bleue de Chagall, La mort et les masques d’Ensor, La famille Soler de Picasso ou encore Le sorcier d’Hiva Oa de Gauguin.
Une mobilisation exceptionnelle des forces vives liégeoises
Cette opération historique n’aurait pu se concrétiser sans une alliance inédite entre la sphère politique, industrielle et culturelle de Liège. Grâce à l’appui de mécènes influents comme Paul de Launoit ou Louis Lepage, regroupés sous la bannière des Amis des Musées liégeois, cinq millions de francs belges sont réunis. Une subvention publique vient compléter l’effort, approuvée à l’unanimité par le conseil communal — y compris par des élus rexistes, preuve du caractère consensuel et stratégique de l’entreprise.
Le montage financier est conçu pour limiter les bénéfices du régime nazi, en coordonnant les achats avec d’autres acquéreurs européens. Cette démarche, que Bosmant présente comme une réponse à un « crime contre l’esprit », se veut à la fois culturelle, politique et morale.
Un héritage vivant
L’exposition Figures de résistance ne se contente pas de raconter un épisode glorieux. Elle invite à réfléchir sur le rôle de l’art en temps de crise, sur les formes que peut prendre la résistance — silencieuse ou éclatante — et sur l’importance des musées comme lieux de mémoire et de transmission. Les œuvres acquises en 1939 ne sont pas de simples trophées : elles sont les symboles d’un engagement, d’un refus de céder à la barbarie, d’un attachement profond aux valeurs humanistes.
En donnant à voir ces pièces aujourd’hui, La Boverie rappelle que l’Histoire de l’Art est aussi une histoire d’hommes et de combats. Et que, parfois, faire entrer une œuvre dans un musée, c’est déjà résister.






