Outremeuse, quand l’industrie façonnait le quartier

Un patrimoine industriel invisible : plongée dans l’Outremeuse des ateliers et des usines

On associe volontiers Outremeuse à son folklore, à ses fêtes et à son esprit populaire. Pourtant, entre le XIXe et le début du XXe siècle, le quartier a aussi été un territoire intensément industrieux. Dans un article récemment publié par le « Bulletin du Vieux Liège », les historiens Michel Rutten et Geneviève Xhayet révèlent un patrimoine industriel largement oublié, fait d’ateliers, d’usines discrètes et d’innovations inattendues.

Et si Outremeuse avait été l’un des quartiers les plus industrieux de Liège ?

Je viens de découvrir, dans le dernier numéro du « Bulletin du Vieux Liège », un article passionnant rédigé conjointement par Michel Rutten et Geneviève Xhayet et qui s’intitule : « Un paysage industriel méconnu. Le quartier d’Outremeuse à Liège (1840-1930) ».
Au fil des pages, les auteurs révèlent une facette largement oubliée d’Outremeuse : celle d’un quartier longtemps structuré par une activité industrielle dense, discrète et profondément intégrée à la vie quotidienne.

Outremeuse, un quartier industrieux méconnu

Au début du XIXe siècle, Outremeuse présente encore un paysage semi-rural. Prés, biefs, moulins et bras de rivière composent un territoire ouvert, où l’artisanat et les petites activités manufacturières héritées de l’Ancien Régime coexistent avec l’habitat.
À partir de la Révolution belge de 1830, ce paysage va toutefois se transformer rapidement, sous l’effet d’une industrialisation progressive, mais continue.

L’abattoir, moteur de l’industrialisation locale

L’installation du nouvel abattoir public joue un rôle déterminant. Véritable pôle structurant, il attire toute une série d’activités connexes : tanneries, dépôts d’os et de chiffons, ateliers de transformation des sous-produits animaux.
Autour de l’abattoir, les rues se densifient, les quais s’urbanisent et un nouveau paysage industriel se met en place, sans jamais rompre totalement avec la fonction résidentielle du quartier.

Une industrie de proximité, discrète, mais omniprésente

Loin des grandes concentrations industrielles du bassin liégeois, Outremeuse se caractérise par une multitude de petits ateliers, souvent familiaux.
On y travaille le métal, le cuir, le bois, le papier ; on y transforme les aliments ; on y répare, on y fabrique, parfois à quelques mètres à peine des logements. La majorité des entreprises emploient moins de cinq ouvriers, et certaines fonctionnent avec le seul patron, aidé de sa femme ou de ses enfants.

Cette industrie de proximité façonne un quartier industrieux plutôt qu’industriel, où le travail fait partie intégrante du quotidien.

La fabrique Nagant, de l’armement à l’automobile

Parmi les entreprises emblématiques évoquées par les auteurs figure la fabrique Nagant, dont le parcours illustre à lui seul la capacité d’évolution de certaines entreprises d’Outremeuse.
À l’origine, l’activité s’inscrit dans la tradition des petits ateliers mécaniques. Mais dès le milieu du XIXe siècle, la famille Nagant opère un tournant décisif en misant sur la mécanisation, la qualité industrielle et l’innovation technique.

Cette stratégie permet à l’entreprise de se spécialiser dans la fabrication d’armes, puis de se lancer, à la fin du XIXe siècle, dans la production d’automobiles. À son apogée, la fabrique emploie plusieurs dizaines d’ouvriers, un effectif exceptionnel à l’échelle d’Outremeuse.
Si l’entreprise quitte finalement le quartier au début du XXe siècle pour s’installer sur des sites plus vastes, son histoire rappelle qu’Outremeuse a aussi été un lieu d’émergence de projets industriels ambitieux, capables de rayonner bien au-delà de Liège.

Les laiteries Offermans et la modernité alimentaire

Autre exemple particulièrement parlant : celui des laiteries Offermans.
Installée d’abord en Féronstrée au début du XXe siècle, l’entreprise se distingue par son caractère résolument moderne. Elle propose la stérilisation et la pasteurisation du lait, la fabrication de beurre et de fromage, et développe une gamme de produits spécifiquement destinés aux nourrissons et aux malades.

La croissance rapide de l’activité conduit Offermans à s’implanter sur un vaste terrain du boulevard de la Constitution, où les installations deviennent considérables pour l’époque. Le choix du site n’est pas anodin : proximité des axes de transport, raccordement au vicinal, voisinage de l’hôpital de Bavière et de sa maternité.
À travers cet exemple, on mesure combien Outremeuse s’inscrit pleinement dans les enjeux de santé publique, d’hygiène et d’alimentation qui marquent le tournant du XXe siècle.

Travailler et vivre dans un environnement sous tension

Cette concentration d’activités industrielles dans un quartier densément peuplé entraîne inévitablement des nuisances.
Odeurs, fumées, bruit, risques d’accident : les plaintes des riverains se multiplient, donnant lieu à des enquêtes et à une réglementation de plus en plus précise. Les archives exploitées par les auteurs témoignent de ces tensions permanentes entre développement économique, santé publique et qualité de vie.

Outremeuse apparaît ainsi comme un véritable laboratoire urbain, où s’expérimentent progressivement les premières formes de régulation et de futures normes industrielles.

Un patrimoine industriel aujourd’hui devenu invisible

Ce qui frappe, à la lecture, c’est le contraste entre la richesse de ce passé industriel et son quasi-effacement dans le paysage actuel.
Les ateliers ont disparu, les bâtiments ont été transformés ou détruits, et il ne subsiste souvent aucune trace visible de ces activités. Ce patrimoine industriel est avant tout un patrimoine d’archives, de plans, de dossiers administratifs.

Un patrimoine discret, mais essentiel pour comprendre l’histoire sociale, urbaine et humaine de Liège.

Redécouvrir Outremeuse autrement

L’étude de Michel Rutten et Geneviève Xhayet invite à porter un regard renouvelé sur Outremeuse. Derrière le quartier festif et populaire se cache une histoire faite de travail, d’innovation, d’adaptation et de tensions urbaines.

Pour celles et ceux qui souhaitent approfondir cette découverte intéressante à bien des points de vues, la lecture intégrale de l’article dans le « Bulletin du Vieux Liège » s’impose. On y trouvera une analyse fouillée, richement documentée, et une formidable invitation à redécouvrir Liège à travers les traces souvent invisibles de son passé industriel.

Il vous est loisible de vous le procurer pour 15 € (hors frais de port) en le commandant soit rue Hors-Château, 69 b 4000 à Liège ou par courriel : info@vieux-liege.be

 

La nouvelle chaudière placée dans la cour des « Glacières Liégeoises Réunies» (Archives familiales de Robert Koelman)
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En-tête des « Laminoirs d’Outremeuse »
Appareil pour la fabrication des eaux gazeuses et Page annonce de « La Carbonique »
Nagant – Quai de Coronmeuse – Liège