« Jeunes Mères » de Jean-Pierre et Luc Dardenne : cinq vies et un même espoir
Avec Jeunes Mères, Jean-Pierre et Luc Dardenne signent un retour aussi sobre que bouleversant. Ancré dans un territoire qu’ils connaissent bien — la région liégeoise —, ce nouveau film explore la maternité précoce à travers le quotidien de cinq adolescentes hébergées dans une maison maternelle. Un regard sans jugement, un récit choral tout en délicatesse, qui éclaire l’invisible.
Une maison maternelle… à deux pas de Liège
C’est en franchissant la porte d’une maison maternelle située près de Liège que l’idée du film a germé. Les frères Dardenne, initialement venus y faire des repérages pour un projet centré sur un seul personnage, ont été saisis par ce lieu de vie collectif. Un espace discret, mais essentiel, où de très jeunes femmes, souvent mineures et isolées, tentent de trouver un équilibre, pour elles et leur enfant.
Les repas pris ensemble, les bains donnés aux bébés, les discussions animées sur l’éducation, la violence ou les ruptures familiales : autant de moments saisis d’abord par l’observation, puis approfondis par l’échange. Une courte vidéo réalisée par une stagiaire sur ces scènes de vie quotidienne a finalement incité les réalisateurs à repenser leur projet de fond en comble.
Un récit choral, cinq trajectoires singulières
De ce terrain d’enquête sensible est né un film sans figure centrale, porté par cinq jeunes filles : Jessica, Perla, Julie, Ariane et Naïma. Cinq adolescentes aux parcours cabossés, unies par une maternité venue trop tôt, souvent sans soutien familial, parfois sans père pour leur enfant.
Plutôt que de raconter une grande histoire englobante, les Dardenne ont choisi de suivre les moteurs intimes de chacune : leurs espoirs, leurs doutes, leurs élans et leurs désillusions. À travers elles, le film évite les pièges du misérabilisme ou du pathos. Chaque scène est guidée par une vérité intérieure, construite au plus près de la réalité.
Des existences à vif, entre solitude et solidarité
Jeunes Mères ne cherche pas à donner de leçons. Il montre sans juger. On y découvre la solitude profonde de ces jeunes femmes, mais aussi les liens qui se tissent entre elles, l’entraide parfois ténue, mais réelle. Car même dans les silences et les incertitudes, une énergie circule : celle de vouloir s’en sortir, de rêver d’un avenir — avec ou sans l’enfant, à l’école ou dans un foyer d’accueil.
Ce que les Dardenne parviennent à capturer avec une rare finesse, c’est cette tentative constante d’échapper à une destinée que la société semble avoir déjà écrite. Et c’est là que réside toute la puissance du film : dans ce combat intime contre la norme sociale, contre les fatalités imposées par la pauvreté ou l’abandon.
Un regard pudique, une méthode rigoureuse
Tourné en à peine 38 jours, le film doit sa justesse à une préparation minutieuse et à une direction d’actrices impressionnante. Les cinq jeunes comédiennes, pour la plupart débutantes, incarnent leurs rôles avec une sincérité désarmante. Le choix de filmer avec de vrais nourrissons ajoute une couche de fragilité et de vérité à l’ensemble.
Fidèles à leur esthétique épurée, les Dardenne privilégient les gestes simples, les dialogues économes, les plans resserrés. Pas de musique démonstrative, pas d’effets appuyés : juste des fragments de vie, filmés au ras du réel.
Une reconnaissance bien méritée
Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2025, Jeunes Mères a été salué par une critique quasi unanime. Le film a reçu le Prix du scénario, le Prix du cinéma positif ainsi que le Prix du jury œcuménique.
Au-delà des récompenses, c’est sans doute l’accueil du public, qui donne au film tout son sens. Un film qui parvient à concilier engagement social et émotion brute, sans jamais forcer le trait. C’est ici, dans notre région, que cette histoire prend racine. C’est ici que les Dardenne ont choisi de regarder, d’écouter, et de faire entendre des voix qu’on entend rarement.
Un film pour voir, comprendre et ressentir
En racontant cinq jeunes femmes qui cherchent à ne plus être définies seulement comme « mères précoces », Jeunes Mères nous rappelle que derrière chaque dossier social, chaque statut administratif, il y a des personnes singulières, courageuses, souvent perdues, toujours dignes.
Et c’est peut-être cela, au fond, le plus beau geste des frères Dardenne : avoir fait de ces jeunes mères des figures de résistance et de lumière.

